Dans le Japon du XIXe siècle, un éminent professeur d’université occidental, grand spécialiste de l’histoire des religions, rendit un jour visite à un abbé de l’école Soto Zen. Après avoir accueilli son invité, l’abbé le convia à une cérémonie du thé.
« La voie du thé est sans secret. » enseignait Sen no Rikyû au XVIe siècle. « Il s’agit simplement de faire bouillir l’eau, de préparer le thé puis de le boire, selon les usages. »
Ainsi selon les usages, l’abbé, recueilli en lui-même, alluma le feu, écouta le bruissement chantant de l’eau, raviva les braises et déposa la poudre de thé vert dans un bol émaillé d’un bleu profond. Pendant ce temps, son invité qui ne pouvait tenir en place, le questionnait sur l’essence du Zen, la non dualité, l’éveil à l’impermanence et la vraie nature de Bouddha.
Devant le mutisme de l’abbé, le grand spécialiste des religions s’échauffa.
En silence, sans un geste superflu qui aurait pu trahir une émotion mal maîtrisée, l’abbé, versa avec délicatesse l’eau brûlante dans le bol. Une fine mousse onctueuse d’un vert intense se forma à la surface. L’universitaire parlait toujours, l’abbé continua à verser très lentement l’eau qui se mit à déborder du bol.
A la vue du thé qui se répandait sur le sol, le professeur s’exclama: « Maître, que faites-vous? Le bol déborde et vous continuez de le remplir. Il ne peut en contenir plus ! »
L’abbé répondit doucement : Ce bol déborde tout comme votre esprit. Vous êtes rempli de vos propres opinions, croyances et spéculations. Comment pourrais-je vous montrer le Zen sans que vous ayez auparavant vidé votre bol ? »
Et vous… de quelle façon vos pensées, vos émotions, votre stress, remplissent-t-ils votre esprit, goutte à goutte, jusqu’à ce qu’il déborde?
Le langage permet de créer des représentations, d’accéder à une activité cognitive ; d’évoquer des objets, des personnes ou des évènements en leur absence, en se servant de signes ou de symboles ; de communiquer à l’oral et à l’écrit ; d’exprimer et partager des ressentis ; de formuler des idées, des théories et de créer des oeuvres d’Art. Cependant par la puissance de sa fonction symbolique, le langage nous éloigne de l’expérience du moment présent. Ainsi le langage permet à la fois à l’homme, d’habiter pleinement son humanité et de l’en priver, car les stimuli symboliques ( notamment les mots) peuvent évoquer les mêmes réactions physiologiques, cognitives et émotionnelles que les objets et évènements réels auxquels ils se réfèrent.
Ainsi, je peut être triste lors d’un événement joyeux, avoir peur dans un environnement sécurisé, ressentir du stress à l’idée d’être stressé ou créer dans mon esprit des représentations qui m’amène à penser les autres et le monde et d’agir dans mes interactions avec le monde environnant de manière dysfonctionnelle.