« The aim of life is appreciation. » – G . K. Chesterton –
Gilles Favro – 29 juin 2015.
Je vous propose de prendre un petit instant afin de penser à un moment au cours de la semaine écoulée, où vous avez pris le temps de savourer l’une de vos expériences.
Cela peut-être quelque chose de très simple, comme le parfum d’une fleur, les premiers rayons du soleil, le chant d’un oiseau au jardin, le goût d’une boisson fraîche par une chaude journée d’été, votre plat favori, un bon livre ou un bon film, une œuvre d’art ou une pièce de musique…
Je vous propose maintenant de répondre aux questions suivantes :
- Quand avez-vous éprouvé ceci pour la dernière fois ?
- Où étiez-vous ?
- Qu’étiez-vous en train de faire ?
- Quels ont été les déclencheurs de cette expérience ?
- Quels états émotionnels ont-ils émergés ?
Il nous arrive très régulièrement au cours d’une journée d’avoir de multiples expériences plaisantes, mais en avons-nous pleinement conscience ?
Entraîner son esprit à prendre conscience des micro-moments que la vie nous apporte et apprendre à les apprécier, à les savourer, peut-être très bénéfique à la santé physique et mentale d’une personne.
Qu’est ce que « Savourer » ?
Etymologiquement le mot savourer provient du latin « Sapere » qui signifie avoir du goût, avoir du jugement, mais aussi connaître par l’expérience.
Ainsi « Savourer » peut être défini comme la capacité d’être conscient d’une expérience plaisante au moment où elle se produit et de savoir la prolonger intentionnellement par une attention délibérée.
Ce concept a fait l’objet de nombreuses recherches au cours des dix dernières années. Pour les scientifiques « Savourer » implique l’autorégulation des sentiments positifs, générés par la connexion directe à des expériences agréables, amplifiée par la conscience, la remémoration ou l’anticipation d’expériences positives passées, présentes ou futures. (Bryant, 1989, 2003; Bryant, Ericksen, & DeHoek, 2008; Bryant & Veroff, 2007).
Il s’agit de s’ouvrir à une expérience agréable au moment où elle surgit, en prenant conscience de l’ensemble des sensations, des perceptions, des pensées, des comportements et des sentiments.
Acquérir cette compétence permet d’accroitre la fréquence et l’intensité des émotions positives, le sentiment de gratitude, améliore l’engagement, et permet de donner du sens à ce que l’on vit.
Les chercheurs ont également démontré que cette compétence est positivement reliée à l’optimisme, à l’estime de soi (Bryant, Veroff, 2006) et à la diminution du stress et à l’amélioration de la santé physique et mentale (Grossman, Niemann, Schmidt, Wallach, 2004)
Un antidote à l’adaptation hédonique.
L’adaptation hédonique est un processus psychologique par lequel les êtres humains s’habituent à un stimulus positif ou négatif, de sorte que les effets émotionnels de ce stimulus sont atténuées au fil du temps. (Frederick & Loewenstein, 1999 – Diener, Lucas & Scollon, 2006 – Lyubomirsky, 2011.)
Si l’adaptation hédonique est un processus qui facilite la résilience, après un accident ou un échec, l’adaptation aux affects et évènements positifs peut affecter la qualité de et le bien-être subjectif d’un individu.
– Avez-vous toujours autant de plaisir à vivre dans votre maison ?
– Votre voiture, quel que soit son modèle ou son prix, vous procure-t-elle les mêmes sensations après plusieurs années de conduite ?
– Ce costume, cette robe, ce bijou ou cette montre, dans votre dressing, vous procurent-ils la même envie de les porter qu’au moment où vous les avez aperçus dans la vitrine d’un grand magasin ?
La question ici est moins d’avoir ce que l’on aime que d’aimer ce que l’on a.
Une compétence à développer.
Savourer les expériences positives est une habileté qui peut s’acquérir par le développement de l’attention et de la pleine conscience.
Les chercheurs en psychologie ont identifiés différentes stratégies qui peuvent être utilisées pour s’ouvrir à une expérience agréable et faciliter et accroître une expérience émotionnelle positive :
ETRE PRESENT « ICI ET MAINTENANT » : cette stratégie consiste à entraîner son esprit à être présent, afin de diriger délibérément l’attention sur l’expérience agréable au moment où elle se présente. Plusieurs études ont montré que cette stratégie favorise l’intensité et la fréquence des émotions positives. (Bryant, 2003; Erisman & Roemer, 2010).
VIVRE LES EMOTIONS POSITIVES : exprimer ses émotions en y associant le langage corporel est un puissant amplificateur. Les études sur le feed-back facial et la régulation des émotions ont montrées que le corps envoie des signaux au cerveau qui les interprète comme une donnée. Ainsi les expressions du visage peuvent jouer un rôle causal dans l’expérience subjective des émotions. (Adelmann & Zajonc, 1989; Finzi & Wasserman, 2006; McIntosh, 1996; Strack, Martin, & Stepper, 1988).
Relâcher les tensions du visage, s’entraîner à sourire, facilite la connexion aux émotions positives.
MULTIPLIER LES INTERACTIONS POSITIVES : Prendre le temps de créer régulièrement des micro-moments afin d’interagir avec les personnes importantes dans nos vies afin de partager et de savourer une expérience positive que cela soit lors d’une réunion de famille, d’un rassemblement sportif ou associatif, méditer, prier ou se réjouir ensemble.
CAPITALISER LE POSITIF : communiquer et célébrer les événements positifs avec les personnes autour de soi. La stratégie de « capitalisation » ( Langston 1994), est associée à une augmentation quotidienne affects positifs, au-delà de l’impact positif de l’événement lui-même. (Gable, Reis, Impett, & Asher, 2004; Langston, 1994)
SE REMEMORER OU ANTICIPER LE POSITIF : Une dernière stratégie « Positive Mental Time Travel » consiste à voyager mentalement dans le temps en se replongeant intensément dans le souvenir d’une expérience riche en émotions positives ou à se projeter dans un futur positif. (Bryant, Smart, & King, 2005; Havighurst & Glasser, 1972; Lyubomirsky, Sousa, & Dickerhoof, 2006; MacLeod & Conway, 2005; Quoidbach, Wood, & Hansenne, 2009).
Etablir une liste de souvenirs positifs et s’y replonger 2 fois par jour. » ou « Imaginer 4 choses positives qui pourraient vous arriver le lendemain »
Au cours de ces expériences, les personnes qui réalisaient quotidiennement cet exercice pendant plusieurs semaines ont enregistré une augmentation de la fréquence de leurs émotions positives ainsi que de leur bien-être subjectif.
Références bibliographiques :
– Bryant, F. B., & Veroff, J. (2007). Savoring: A new model of positive experience. Mahwah, NJ: Lawrence Erlbaum.
– Bryant, F. B. (2003). Savoring Beliefs Inventory (SBI): A scale for measuring beliefs about savouring. Journal of Mental Health, 12, 175–196.
– Diener, E., & Diener, M. J. (1995). Cross-cultural correlates of life satisfaction and self-esteem. Journal of Personality and Social Psychology, 69, 851–864.
– Fredrickson, B., & Branigan, C. (2005). Positive emotions broaden the scope of attention and thought-action repertoires. Cognition and Emotion, 19, 313–332.
– Fredrickson, B. L., Cohn, M. A., Coffey, K. A., Pek, J., & Finkel, S. M. (2008). Open hearts build lives: Positive emotions, induced through loving-kindness meditation, build consequential personal resources. Journal of Personality and Social Psychology, 95, 1045–1062.
- Gable, S. L., Reis, H. T., Impett, E. A., & Asher, E. R. (2004). What do you do when things go right? The intrapersonal and interpersonal benefits of sharing positive events. Journal of Personality and Social Psychology, 87, 228–245.
– Quoidbach, J., Wood, A., & Hansenne, M. (2009). Back to the future: The effect of daily practice of mental time travel into the future on happiness and anxiety. The Journal of Positive Psychology, 4, 349–355.
– Kahneman, D., Krueger, A. B., Schkade, D. A., Schwarz, N., & Stone, A. A. (2004). A survey method for characterizing daily life experience: The day reconstruction method. Science, 306, 1776–1780.
– Langston, C. A. (1994). Capitalizing on and coping with daily-life events: Expressive responses to positive events. Journal of Personality and Social Psychology, 67, 1112–1125.
– Lyubomirsky, S. (2011). Hedonic adaptation to positive and negative experiences. In S. Folkman (Ed.), Oxford handbook of stress, health, and coping (pp. 200-224). New York: Oxford University Press.
– Lyubomirsky, S., Sousa, L., & Dickerhoof, R. (2006). The costs and benefits of writing, talking, and thinking about life’s triumphs and defeats. Journal of Personality and Social Psychology, 90, 692–708.
– MacLeod, A. K., & Conway, C. (2005). Well-being and the anticipation of future positive experiences: The role of income, social networks, and planning ability. Cognition and Emotion, 19, 357–373.