« Il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va. » – Sénèque – 

 

Gilles Favro – 14 mai 2015.

L’évolution du monde économique, l’accélération des mutations technologiques, la volatilité des clients et des marchés, la compétition mondiale, conduit les organisations à redessiner en permanence les contours de leurs organisations.

Les restructurations et les changements organisationnels qui en sont la conséquence ont dans bien des cas un impact significatif sur les collaborateurs (montée du stress et de l’anxiété, perte de sens, désengagement, dégradation des relations de travail …) et à moyen court terme sur l’organisation ( destruction des réseaux informels, diminution de la capacité d’innovation, baisse de productivité, impacts sur l’image de l’entreprise…). Or, les gains de compétitivité retirés de ces mesures, sont bien souvent obérés par les coûts cachés induits par ces mêmes mesures.

En 2009, le rapport européen HIRES (Health In Restructuring), coordonné par Thomas Kieselbach de l’Université de Brème, a mis en évidence les différents risques des restructurations pour la santé des individus comme pour les organisations.

Dans ce contexte la question du sens au travail se pose pleinement.

Quel sens donner au travail ?

Victor Frankl affirmait que « la recherche humaine du sens est la motivation fondamentale de la vie.»

Dans la langue française le mot « sens » revêt plusieurs acceptions.

De sa racine latine « sensus », le mot sens désigne la capacité d’éprouver des sensations et la faculté intellectuelle de connaître, d’avoir conscience ou de donner une signification à quelque chose.

De sa racine germanique « sinno », il indique la direction, la position dans l’espace ou la direction que prend une activité.

En psychologie, le sens se rapporte essentiellement à l’expérience de cohérence, de cohésion, d’équilibre, voire de plénitude. ( Frankl, 1969)

Le sens du travail peut donc être conçu comme un effet de cohérence entre le sujet (ses valeurs) et le travail qu’il accomplit, le degré d’harmonie ou d’équilibre qu’il atteint dans sa relation avec le travail (Morin, 2008).

Une expérience subjective.

Brief et Nord (1990), affirment que le sens de toutes les activités humaines est obtenu de deux sources : la compréhension et l’intention. Aussi, le sens du travail s’appuie sur le rapport qu’une personne développe avec les activités qui définissent son rôle.

En fonction de l’intention que met la personne dans son travail et de la compréhension des finalités qu’elle en retire, les perceptions qu’elle éprouvera pourront être très différentes.

Une personne qui trouve du sens dans son travail a une compréhension claire (signification) des enjeux et des finalités de l’organisation, des activités et des relations qui sont contenues dans les objectifs du poste, ainsi que de sa propre contribution aux résultats de l’entreprise.

Elle éprouve un sentiment d’appartenance et a une vision partagée des objectifs et de leurs critères d’évaluation (direction). Elle est en capacité d’utiliser ses forces signatures et ses traits de caractère positifs.

Elle éprouve un sentiment de cohérence entre le travail qu’elle accomplit, ses attentes, ses valeurs et les gestes qu’elle pose quotidiennement.

Le sens positif qu’elle éprouve dans le contenu de son travail se manifeste par des comportements d’engagement, d’implication, d’assiduité mais aussi par des comportements pro-sociaux d’ouverture, de communication et de coopération.

Réciproquement, la personne qui perçoit positivement son travail y trouve du sens. Sa perception est fonction du contenu de ses activités quotidiennes, des conditions dans lesquelles elle les accomplit et des relations humaines positives (collègues, managers, collaborateurs, clients…) qu’elle développe dans l’activité qu’elle exerce.

Inversement, un travail qui n’a pas de sens pour la personne qui l’exerce ; soit parce que le contenu de l’activité est dépourvu à ses yeux de signification ; soit parce que la personne n’a pas une compréhension claire des objectifs ou des modes d’évaluation ; soit parce que l’activité est dépourvu de cohérence, de consistance, ou d’équilibre, aura des effets significatifs sur l’engagement, l’organisation (absentéisme, présentéisme, turnover, baisse de 
productivité 
non qualité…) et la performance globale.

Lorsqu’un individu considère que son travail n’a pas de sens, son bien-être psychologique est menacé (montée du stress ou de l’anxiété, changements de comportements, pathologies diverses, conduite à risque…). Dans ce contexte, la personne peut être amenée à développer des comportements inadaptés et un mode de communication conflictuel avec ses collègues et sa hiérarchie.

Comment donner du sens au travail ?

Selon Havener (1999), les collaborateurs talentueux ont besoin d’un travail porteur de sens. Aussi les organisations doivent analyser, comprendre les besoins et les motivations profondes de leurs collaborateurs afin de les mobiliser et de les fidéliser.

D’après Baumeister (1991), pour qu’un travail ait un sens, il est important qu’il s’appuie sur quatre besoins individuels : un but commun, un ensemble de valeurs positives, un sentiment d’efficacité, un sentiment de valeur personnelle.

D’après le modèle de Hackman et Oldham (1980), trois caractéristiques semblent contribuer à donner du sens au travail : la diversité des compétences mises en œuvre, l’identité du travail, la signification du travail, et l’identité que la personne retire de l’exercice de son travail.

Pour Isaksen (2000), le sens du travail est perçu comme un état de satisfaction engendré par la perception d’une cohérence entre la personne et le travail qu’elle accomplit.

Huit caractéristiques du travail contribuent à lui donner un sens :
– s’identifier à son travail et à son milieu de travail,
– avoir des bonnes relations avec les autres et de se préoccuper de leur 
bien-être,
– avoir le sentiment que le travail est utile et contribue à l’accomplissement d’un projet 
important,
– avoir le sentiment que le travail accompli est important pour les autres, est bénéfique pour 
autrui,
– avoir la possibilité d’apprendre et le plaisir de s’accomplir dans son travail,
– participer à l’amélioration de l’efficacité des processus et des 
conditions de travail,
– éprouver un sentiment d’autonomie et de liberté dans l’accomplissement de son travail,
– éprouver un sentiment de responsabilité et ressentir de la fierté du travail accompli. 


L’émergence des « jobs crafters ».

Dans l’article « Transformer son job en vocation ? C’est possible…! »  , j’ai présenté les travaux du Dr. Amy Wrzesniewski sur les niveaux de satisfaction au travail.  

Après avoir étudié pendant plusieurs mois un groupe d’agents d’entretien d’un grand hôpital américain, Wrzesniewski et Sutton observèrent que les personnes qui considéreraient leur travail comme une « vocation », l’évaluaient comme intéressant et enrichissant, alors qu’un autre groupe d’agents d’entretien du même hôpital qui voyaient leur travail comme un « job », évaluaient leur travail comme ennuyeux et n’y trouvaient aucun sens ni aucune satisfaction.

Bien que ces deux groupes effectuent exactement les mêmes tâches (assurer l’entretien et l’hygiène des locaux) les chercheurs observèrent que les agents qui avaient choisi d’élargir les perspectives de leur emploi en lui donnant un sens (assurer le confort des malades, faire en sorte que chacun se sente mieux à leur contact, développer des relations interpersonnelles positives avec les personnel soignant et les patients…) , concevaient leur travail comme une activité essentielle leur permettant de s’accomplir et de contribuer à leur communauté.

En s’appuyant sur ces observations, Wrzesniewski et son équipe, chercha à comprendre comment les individus peuvent réussir à mieux répondre à leurs compétences et à leurs intérêts, tout en augmentant de manière significative leur niveau de satisfaction, leur rendement et leurs performances ?

La théorie du Job Crafting , tend à faire des collaborateurs les propres « artisans » de leur réussite, en leur laissant la liberté d’introduire des changement proactifs au contenu de leur emploi afin de faciliter l’engagement, l’autonomie, la satisfaction au travail, la résilience mais aussi d’apporter des améliorations positives en terme de performance .

Références bibliographiques :
– Barling, J., Kelloway, E. K., & Frone, M. (2005). Handbook of work stress. Thousand Oaks: Sage.
– Baumeister, R. F. (1991). Meanings of life. New York: Guildford.
– Brief, A. P. & Nord, W. R. (1990). Meaning of Occupational Work, Toronto, Lexington Books.
– Dejours, C. (1993). Travail usure mentale. Essai de psychopathologie du travail, (Reissue), Paris, Bayard Éditions.
– Frankl, V. E. (1969). The Will to Meaning. New York: New American Library.
– Frankl, V. E. (1963). Man’s Search for Meaning. (Original version published in 1959). Boston: Beacon Press.
– Havener, C. (1999). Meaning: The secret of being alive. Beaver’s Pond Press.
– Health in Restructuring (HIRES) Recommendations, National Responses and Policy Issues in the EU
– Isaksen, J. (2000). Constructing meaning despite the drudgery of repetitive work. Journal of Humanistic Psychology, 40, 84-107.
– Morin E. (2008) – Sens du travail, santé mentale et engagement organisationnel – Etudes et recherches –Rapport R-543
– Meyer, J. P. & Allen, N. J. (1997). Commitment in the work place: Theory, research and applications. Thousand Oaks (CA) : Sage.
– Roberson, L. (1990). Functions of work meanings in organizations : Work meanings and work motivation. In A. P. Brief et W. R. Nord (dir.) Meaning of Occupational Work, Toronto: Lexington Books, 107-134.
– Seligman, M. E. P. (2002). Positive psychology, positive prevention and positive therapy. In C. R. Snyder & – S.J. Lopez (Eds.), The handbook of positive psychology. New York: Oxford University Press.
– Wrzesniewski, A. (2003). Finding Positive Meaning in Work. In Cameron, K.S., Dutton, J.E., & Quinn, R.E. (2003). Positive Organizational Scholarship : Foundations of a New Discipline. San Francisco: Berret-Koehler, 279-295.
– Wrzesniewski, A. & Dutton, J.E. (2001). Crafting a job: Revisioning employees as active crafters of their work. Academy of Management Review. 26(2), 179-201.

 

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